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السبت، 26 سبتمبر 2015

Le cheval de Tbourida



Eté, saison des moussems, de la fantasia ou Tbourida pour les puristes. C'est une joute courtoise où rivalisent les cavaliers et les sorbas. L'émulation porte sur le faste et le luxe illustrés par le costume et les armes du cavalier, le harnachement du cheval; elle porte aussi sur la science équestre, la discipline de la troupe, l'élégance de la caracole, l'harmonie de l'ensemble et enfin, la synchronisation de la salve finale.
Mais le thème qui éclipse tous les autres est le cheval. L'immense majorité des discussions à propos de Tbourida tournent autour du cheval. Et l'immense majorité des discussions à propos du cheval concernent sa beauté, bien loin devant sa vitesse ou la qualité de son dressage.
Qu'est-ce qu'un bon cheval? Il s'agit ici d'apparat, de luxe, d'affichage de prospérité. Dans ce contexte, on recherche la haute taille, signe de puissance, et l'embonpoint, signe de richesse.
Autrement dit, le "beau" cheval de fantasia est un cheval grand et gros. D'autres caractéristiques physiques peuvent jouer: la robe noire, ou à défaut, pommelée et une longue crinière. Exit la vitesse, l'endurance et la sobriété d'autrefois qui imposaient un type physique si particulier. Aujourd'hui, le cheval de fantasia vit à l'attache, n'est presque jamais monté et les éleveurs rivalisent d'imagination pour le nourrir. Pour l'engraisser devrait-on dire, car ici, on engraisse bien les chevaux. La ration du cheval, autrefois constituée d'herbes sauvages, de paille, complémentée pour les plus riches par de la luzerne et de l'orge, s'est "enrichie" de blé, de tourteau de soja, de maïs grain, de maïs ensilage, de pulpe de betterave, et même dit-on, de déchets de biscuiterie!
Ce qui est recherché ici et magistralement atteint à force de suralimentation et de repos, c'est l'obésité. Discutable esthétiquement, comme tout ce qui relève des goûts et des couleurs, elle est sans conteste nuisible pour la santé de l'animal. Au Royaume-Uni, l'obésité est la deuxième cause de mortalité des équidés après les coliques. Mais l'aspect négatif sur la santé des animaux n'est pas le seul problème causé par cette recherche de l'embonpoint maximal. En fait, le régime alimentaire ne fait pas tout: il faut aussi sélectionner, c'est-à- dire faire reproduire, génération après génération, les individus qui présentent la caractéristique recherchée: l'aptitude à l'engraissement. C'est l'exact opposé d'une sélection millénaire basée exclusivement sur la sobriété, la vitesse et l'endurance, qualités du cheval de guerre et de razzia, qui a créé, d'abord empiriquement puis de manière rationnelle, le cheval Barbe. Ces deux finalités, razzia et guerre d'une part, apparat et embonpoint d'autre part, ne pouvaient qu'aboutir à des morphologies tout à fait opposées. Un facteur aggravant de cette différenciation, récemment apparu au Maroc, est le croisement, qui consiste à accoupler au cheptel local des étalons de races étrangères pour apporter taille et corpulence. On a utilisé du Trait Breton, du Percheron, de l'Andalou, du Frison, des chevaux d'obstacles pour la taille… Il faut reconnaître que ces mélanges anarchiques ont parfois abouti à des individus remarquablement beaux dans leur genre qui est le genre baroque, dans la famille des Andalous, Lippizans et Frisons. Mais s'ils sont parfois beaux, ils sont tout sauf rapides, endurants et rustiques, c'est-à-dire tout sauf Barbes. Pour sa part, le Barbe est tout sauf grand, puissant et lourd. La différence est donc totale entre ces deux modèles et la confusion impossible.
Et le Barbe, qu'est-il devenu ? Il s'est maintenu dans des zones enclavées où le cheval sert encore pour les déplacements, où la disponibilité alimentaire ne permet pas l'entretien d'un cheval aussi exigeant que le cheval de Tbourida.
Il s'est maintenu également dans des rôles subalternes, traction de carrioles ou de calèches, auxquels le prédisposent sa résistance et sa rusticité.
Aujourd'hui, le cheval de Tbourida, après avoir pris la place du Barbe sur les terrains de fantasia cherche à prendre son nom. En effet, le cheval de Tbourida n'a jusqu'ici pas de nom. Il n'est pas constitué en race, d'où un certain manque de légitimité. Cette question de race, de dénomination, n'est pas un simple exercice intellectuel. En effet, un éleveur qui souhaite travailler de manière structurée doit utiliser pour la reproduction, des étalons et des juments identifiés, approuvés et rattachés à une race officiellement reconnue. Lorsqu'il présente son étalon pour une approbation, la commission peut lui délivrer une carte de Barbe, ou d'Arabe-Barbe ou de Race Non Constatée qui est un statut équivalent à "sans papiers". Bien entendu, chaque éleveur souhaite obtenir une carte de cheval Barbe ou au moins Arabe-Barbe, mais il souhaite aussi élever un cheval qui corresponde au goût du marché de la Tbourida: un cheval d'apparat, haut et puissant. La contradiction est totale et irréductible. De son côté, la commission raciale chargée d'approuver les étalons doit gérer cette contradiction.
Devant un étalon de Tbourida "typique" elle a deux possibilités:
a/ Logiquement, elle refuse de délivrer une carte Barbe ou Arabe-Barbe, refuse l'approbation de cet étalon pour la monte et les poulains engendrés par lui seront à leur tour sans papiers et feront l'objet d'une production informelle.
b/ Elle délivre le document souhaité par l'éleveur à ce cheval qui n'est pas conforme, ni par sa morphologie, ni par ses aptitudes au standard du Barbe et de l'Arabe-Barbe. Dans ce cas, l'éleveur est certes satisfait, mais on aura introduit dans une race des chevaux qui y sont en réalité étrangers, et cela mènerait à la disparition du Barbe originel, authentique. Un moyen de sortir de cette contradiction est de créer un statut valorisant pour le cheval de Tbourida tel que l'aiment les adeptes de cette tradition équestre. Cela consisterait à prendre acte de la création d'une nouvelle race équine sur le sol marocain, à créer un Stud-Book, celui de la race de cheval de Tbourida marocain. Cet acte, simple décision administrative, offrirait un espace à la population des chevaux de fantasia, dont les éleveurs et utilisateurs ne seraient plus tentés d'entrer "par effraction" dans le livre du Barbe et de l'Arabe-Barbe.
Cette démarche serait de type "gagnant-gagnant":
1/ Elle accompagnerait, encadrerait et consacrerait le choix des éleveurs et cavaliers de Tbourida. Cela donnerait un statut valorisant aux quelques 15.000 chevaux de Tbourida, aux dizaines de milliers de juments qui les produisent, l'ensemble représentant plusieurs centaines de millions de dirhams.
2/ Elle enrichirait le Maroc d'une nouvelle race équine, récente mais créée sur le sol national et emblématique du goût du marché.
3/ La création d'un Stud-Book du Cheval de Tbourida permettrait l'encadrement de cette nouvelle race et la gestion rationnelle de son mode d'élevage par le services concernés.
4/ Le point le plus important est qu'elle libèrerait le Barbe d'une pression qui le menace. Les éleveurs et commissions raciales pourraient ainsi travailler en toute sérénité sur ce patrimoine national millénaire, loin de la mode, du marché et de ses perturbations.

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